- Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine, 1874
Je tiens la Tentation de saint Antoine pour un vrai livre d'apologétique catholique, peut-être le plus grand en langue française après les Pensées de Pascal.
En traçant le tableau dantesque des hérésies qui enserrent Antoine de leurs séductions, Flaubert entendait montrer l'inanité des dogmes et la stupidité de leurs sectateurs. Avec l'application du naturaliste, doublée d'une dramatique parfaite et d'une écriture somptueuse qui placent cette œuvre au zénith des lettres française, Flaubert donne en spectacle la folle prolifération de l'imagination livrée à ses chimères. Elle vomit les doctrines les plus hétéroclites et les plus contradictoires autour du pauvre ermite qui ne sait plus s'en défendre. À la fin, ces idées fiévreuses s'affrontent et s'annulent : débauche contre ascèse, spiritualisme contre matérialisme, éons contre démons, glorification contre déni de l'homme, adulation contre exécration de la femme, statues d'idoles dévorées par le temps...
Que ressort-il de ce pandémonium frénétique ? Il demeure un seul axe fixe - celui où se tient Antoine en dépit de tout -, une doctrine constante qui saisit les oppositions et qui les équilibre dans une synthèse unique - la foi catholique. À son corps défendant, Flaubert a peint le triomphe du dogme !
Son saint Antoine n'est pas ridicule. Ni Bouvard, ni Pécuchet, ni Bovary, il est un homme qui suit sa vocation, rompu par ses faiblesses, mais qu'un miracle permanent redresse et raffermit. Il est faible et porté par l'appel de Dieu au milieu de la terrible théorie des faux dieux. La constance du saint manifeste la gloire divine.
Flaubert se récrirait contre cette lecture de son hagiographie. Mais il est trahi par son propre génie, car la grâce du Verbe qui habite sa plume le dépasse. Voici donc Flaubert en chrétien à son insu, par amour de la beauté. On le retrouve ainsi dans la Légende de saint Julien l'Hospitalier et même dans Un cœur simple.
Guillaume de Lacoste Lareymondie