- Bertrand Vergely, Le silence de Dieu face aux malheurs du monde, Presses de la Renaissance, 2006, 288 pages, 21 €
Ce livre est une réponse à l’athéisme et, plus précisément, à l’athéologie contemporaine — à cette volonté perverse d’établir, non pas que Dieu n’est pas, mais qu’il n’a pas le droit d’être.
Bertrand Vergely part de la très classique accusation : des innocents souffrent. Si Dieu existait, il ne le permettrait pas. Il n’a pas le droit de le permettre. Donc il n’existe pas. À quoi il oppose la célèbre réplique que Dostoïevski met dans la bouche d’Ivan Karamazov : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » Comment dénouer la contradiction entre ces deux propositions, qui semblent pourtant justes toutes les deux ?
Vergely oppose deux conceptions de Dieu : l’une extérieure, celle des athées, des théistes et des fanatiques ; l’autre intérieure, celle de la foi. À partir de là, il déroule la logique de l’athéisme : comment il divinise l’homme à son corps défendant ; comment, pour diviniser l’homme, il doit éradiquer le mal ; comment, pour éradiquer le mal, il doit tuer les hommes qui ne cessent de le faire. C’est ainsi que l’athéisme conduit tout droit à l’infanticide, à la terreur, au génocide, à la tuerie. Incidemment, le théiste radical tombe dans la même logique. S’il faut défendre Dieu, s’il faut chasser le mal, les moyens sont les mêmes.
Pour le montrer, Vergely retrace la généalogie de l’athéisme, celui théorique qui va de Sade à Nietzsche à Sartre et à Onfray, et celui pratique du nazisme et du communisme, pour en dénoncer l’horreur. Cet exposé fort clair est parfaitement convainquant.
Maintenant, quelle est la solution ? Pour la montrer, c’est sur Camus et son « homme révolté » que Vergely s’appuie. Il le suit un temps pour ensuite le réfuter sévèrement. Ce qui importe, c’est de se révolter face au mal et d’être une conscience. D’où l’importance de dire ce qui est mal, de dire ce qui est bien, de ne jamais définir le bien par rapport au mal — le bien est par lui-même — et de voir que le mal, c’est l’absence du bien. Mais ce n’est pas assez. Camus en reste là, dans sa posture héroïque, tragique et finalement intellectuelle. Il ne répond pas à la souffrance concrète. Ce qu’il faut savoir, et qu’il manque, c’est que Dieu souffre avec nous, en nous ; Dieu est ce qui nous fait tenir dans l’être. « C’est vivre qui est la réponse au mal et non comprendre le mal. […] La vie se trouve dans la vie et non dans la mort et dans le crime » (p. 269).
Vergely s’en tient à la théologie naturelle. Il ne touche qu’à peine à la théologie chrétienne. Il se situe sur le même plan philosophique que l’athéologie, pour lui répondre. Sa réponse vaut pour tout homme, religieux ou non. C’est la première force de ce livre. D’autre part, sa démonstration est subtile autant que rigoureuse. Il est particulièrement habile à montrer les sophismes de la mise en accusation de Dieu et à redresser les arguments dévoyés des penseurs athées. Pour ne rien gâcher, Vergely tourne bien ses formules, et de nombreux développements incidents sont tout à fait brillants et pertinents.
Mais l’exercice de rhétorique a ses limites et il traîne parfois en longueur (son livre aurait pu compter une centaine de pages de moins sans rien perdre de son fond). L’exposé ne suit d’ailleurs pas vraiment de plan, l’auteur allant d’une idée à l’autre pour faire le tour de sa question en suivant plus le fil de son inspiration que celui de sa démonstration. Dernier détail, ses analyses de saint Augustin, de Descartes, de Socrate et de Rousseau sont certes fort originales et inattendues, mais trop partielles pour être parfaitement honnêtes.
Enfin et surtout, Vergely ne va pas au bout de la question. S’il vaut vraiment appeler mal ce qui est mal et bien ce qui est bien, s’y tenir coûte que coûte, et ne jamais se résigner à ce qui ne va pas, la conséquence pour l’homme est d’accepter d’en mourir, d’être prêt au martyre. Vergely effleure à peine cette vérité qui s’impose pourtant si on le lit sincèrement. La révolte face au mal, le refus d’en faire le point focal du monde, le choix inconditionnel du bien, peuvent conduire à en devenir la victime consentante. Ici, le Christ est le modèle par excellence. Pourquoi ne pas l’avoir écrit ?
Les lecteurs qui souhaitent creuser la question théologique et théorique du mal se référeront au très beau Dieu sans idée du mal du Père Garrigues, qui reste la référence. Le livre de Vergely vaut plutôt par ses réponses psychologiques et morales, en phase avec le monde qui est le nôtre.
Guillaume de Lacoste Lareymondie